dimanche 16 juin 2013

Cannes System


Qui pense encore aller au Festival de Cannes pour voir des films ???

Personne, bien évidemment.

De toute manière, on sait très bien que ce sera un obscur réalisateur coréen ou directeur de la photographie pakistanais qui sera primé. Non pas que j’ai une dent contre les cinéastes coréens ou pakistanais, mais il n’est pas rare que celui-ci demeure tout aussi obscur les quelques années qui suivent sa gloire cannoise, jusqu’à ce qu’il devienne lui-même membre éminent d’un des trois jurys du cru ou, qu’à son tour, il remette un prix dans le Palais des Festivals. Après, que sais-je de leur parcours ? Tout ce que je peux dire, c’est qu’ils auront été emportés par cet ouragan au moins une fois dans leur vie. Car, quand on est amené à Cannes - quelqu’en soit la finalité - on vit Cannes, on respire Cannes, on mourrait presque Cannes. Bienvenue dans le Cannes System.

11 jours et 10 nuits à ne plus manger, ne plus dormir, ne (presque) plus penser. Monde de déracinés qui se damneraient pour une Montée des marches avec un grand M. Les festivaliers envahissent la ville. Loueurs d’escabeaux pour profiter de la vue, gardes du corps, attachés de presse, agents, stylistes, maquilleurs, coiffeurs et compagnie hurlent leur corps pour être partout et ne pas en rater une miette. De la star en veux-tu en voilà, ça occupe son monde ! Adrien Brody en grande conversation avec Sharon Stone à vos côtés dans l’ascenseur? Rien de plus banal. Je ne suis vraiment pas du genre « fan ». Pas comme ces 200 personnes massées à l’entrée de l’hôtel pour tenter d’apercevoir le mégot de cigare de Léo ou l’aiguille du talon d’Eva.

Et puis, il n’y a plus de plage. Des baraques de fer et de toile résistante aux noms de boisson à base d’agrumes ou de glace au lait ont poussé sur le sable. Je n’ai vu la mer que deux jours avant la fin. Avant, c’était un décor de cinéma jonché le long de la Croisette. Alors j’ai marché du côté de la mer. Je l’ai éclaboussée à minuit pour ne pas aggraver mes coups de soleil, je lui ai porté un toast aussi: « Cannes, ville où j’ai cru mes orteils cassés pour avoir été coincés dans des stilettos trop hauts, Cannes, ville où j’ai compris que le vrai luxe, c’était d’avoir sa coupe toujours remplie de champagne frais, Cannes, ville où un petit ticket de rien du tout pour gravir des marches incandescentes a plus de pouvoir pour décider d’une carrière qu’un travail acharné sur le vers racinien une vie durant, Cannes, ville des cancans, Cannes, business machine en pleine ébullition, vampire suceur d’énergie, déferlante de souris droguées à l’adrénaline iodée qui s’activent pour des flashs, Cannes… tiens, faudrait que je pense à trouver des cartes postales, quand même … Cannes … euh, je ne sais plus en j’en étais … eh bien, Cannes, il est temps de te rendormir !»

Je suis partie comme je suis venue, laissant au port ses mâts, au café, ses crêpes au Nutella, échouant dans un train direction la réalité. C’est là que j’ai fermé les yeux.

Vide ou pas vide... de sens?

lundi 3 juin 2013

L’arrache cœur, le vrai


« Envoie moi ton cv, Machin de chez Miracle agency cherche quelqu’un, j’ai dit que tu étais géniale ! »

Wouaouh ! Cool ! Les gens sont vraiment adorables. « Miracle agency » en plus ! L’agence la plus convoitée à l’international dans son segment ! Sans compter que mon salaire actuel serait doublé, peut-être même triplé… Je serais hyper indépendante. Active woman en direct, me voilà !

Hiiiiirrrrcccc Je me stoppe net. Je rembobine. « Géniale ». « Tu étais ». « Cherche quelqu’un ». « Miracle agency ». « Machin ». « CV ». Oh non… pas encore le cv… pas encore une remise à jour... pas encore des heures à essayer de tout faire rentrer sur une page… Ca y est, j’ai des palpitations, de l’urticaire, peut-être même que je suis en train de contracter le Chikungunya.

Deux jours plus tard.
J’ouvre le doc… je n’ouvre pas le doc… j’ouvre le doc… je n’ouvre pas le doc… Peut-être que je peux jouer à pile ou face pour me décider… En même temps, j’ai déjà repoussé la torture de deux jours. Reculons, mes amis, reculons pour mieux sauter ! Allez hop, je l’ouvre.

Deux secondes plus tard.
Pourquoi est ce que je suis sur Facebook ? Je vérifie. J’ai bien ouvert le document, mais il faut croire que sa vue a été un tel cauchemar pour ma rétine que j’ai du agir vite. Un petit tchat et je me motive. J’essaie de soudoyer une amie en lui promettant de lui concocter de succulents petits muffins au chocolat si elle me sauve la vie et les nerfs en s’occupant de la mise à jour de mon cv. Rien n’y fait, elle travaille déjà sur le sien. Décidément, nos activités manquent d’originalité.

20 minutes plus tard.
Ça suffit de parler de l’idée de cv sans y toucher ! Je me prends en main, voilà, je reclique sur le document pour qu’il apparaisse. Il est pas mal quand même… J’ajoute une ligne pour ne serait-ce qu’écrire le titre de ma dernière expérience professionnelle, et paf, mon cv passe sur deux pages… J’écarte la possibilité de baisser (encore) la taille des lettres et des espaces. Tous les recruteurs n’ont pas de loupe à portée de main. Ne me reste plus qu’à enlever certaines de mes expériences… Autant dire que j’en crève ! Tant de labeur, tant de sueur pour que ça ne figure pas sur le résumé de ma vie ?? Ca m’arrache le cœur !

Plus tard.
Il faut montrer que j’ai des responsabilités, que mon travail est stratégique et essentiel, aussi essentiel que si j’allais sauver des vies en Ouganda. Comment donc traduire de manière élaborée que lire Voici et Gala fait partie de mes missions quotidiennes ?

4h30 plus tard

Fini. Je suis vidée. Je me demande comment les gens vont bien pouvoir comprendre qu’un jour j’ai eu mon bac, vu qu’il me fallait trouver une ligne à supprimer. Adieu mention. Ah, éducation française, si tu ne m’avais pas formaté un orgueil aussi élitiste, je me serais arrachée moins de cheveux à cette étape cruciale !




Torture légale et obligatoire