jeudi 28 juin 2018

Au paradis des glaces

J’étais en pleine recherche sur les couleurs quand j’ai découvert que le caméléon ne changeait pas de couleur en fonction de son environnement, mais en fonction de son état émotionnel*. 

Stupeur. C’est comme si, depuis des années, je marchais dans un long couloir en béton que je détruisais régulièrement pour trouver d’autres chemins et que, tout à coup, j’arrivais sous un néon bleu ciel qui grésille et sur ma droite, une porte. Bleu électrique. Bleu hypnotique. Celui qui t’appelle.

Révolte. Encore une fois, on a voulu me faire croire que le monde était dur et sec, sans place pour le flou et le mou et là, j’apprends que ce sont les émotions, le fluctuant qui est à l’origine.

Excitation. Subjuguée par cette spontanéité de l’expression chez les caméléons, je décide de les ériger en modèles et pars me balader.

C’est là que j’aperçois mon ami Edmond le caméléon qui marchait tranquillement se faire embarquer sur la plateforme d’un monte-meubles. L’angoisse et le vertige le saisissent. Lui qui commençait à avoir chaud vire au bleu et vert. Il grimpe sur le piano qui poursuit son ascension, se cramponne aux touches du clavier. Les soubresauts le font hoqueter sur les notes. Voilà qu’à chacune d’elles, une nouvelle pointe de couleur complète ses nuances. De la plus aigüe à la plus grave, il voyage à travers l’arc en ciel.

Edmond expire sur un do majeur quand une énième secousse l’éjecte. Il effectue un vol plané jusqu’au trottoir d’en face. Par chance, il transperce le store du marchand de glaces et atterrit la langue dans le melon, les pattes avant dans le citron, les pattes arrière dans le maracuja et la queue dans le cassis.

Je me précipite vers lui pour être sûre qu’il n’a rien de cassé et lui demande pourquoi il est de la couleur de toutes ces glaces, ce qui ne confirme pas du tout ma découverte.

Là, il me répond qu’il est tellement heureux d’être de retour sur la terre ferme et d’être rafraîchi qu’il se laisse envahir par ces saveurs qui ne font qu’une bouchée de lui. 


*L’étonnant pouvoir des couleurs de Jean-Gabriel Causse

Après l'effort, le réconfort