Comment font-ils tous ces gens qu’on croise pour continuer à
marcher ? Droit ou non. Je pense aux gens que je connais et reconnais
différentes méthodes.
Il y en a qui passent sous silence l’événement qui les a attristés.
Certains le font par pudeur qui pourrait bien être mélangée à de la fierté: les
gens n’ont pas besoin de savoir, cela ne regarde que moi. D’autres vont même
jusqu’à s’inventer une vie, une vie où tout se passe tellement bien, voire si
extraordinairement bien pour eux que personne n’est dupe mais tout le monde les
écoute en rêvant à ce que leur vie aussi ressemble à un tel récit. On finit
presque par oublier qu’on n’y croit pas de manière à mieux s’affliger en se
trouvant pitoyable de verser une larme pour telle ou telle chose quand d’autres
ne sont jamais confrontés à des situations pénibles. Quand on commence à croire
à la fable de l’autre, notre réalité est terrible.
Il y en a d’autres encore qui crient haut et fort leurs petits
malheurs quotidiens. Tellement banal, c’est un mode de vie, un peu comme Les malheurs de Sophie avec un nombre
illimité de chapitres. On est à la page 312, mais on sait que la prochaine fois
qu’on verra la personne en question, on aura passé la page 329. Ça s’accumule.
On connaît tout de ce qui lui est arrivé, de la fois où il a insulté une
grand-mère en pensant que c’était un gangster à la fois où il s’était déjà vu
déchiqueté par les piranhas parce qu’il avait oublié d’emporter les rames de
son canot qui tanguait dangereusement, laissé à la dérive. C’est un sujet de
conversation tellement vrai qu’au fond, il ne trompe pas. Lui aussi, comme le
premier, quémande une attention particulière. Attention qu’il obtient, qui
lasse, qui déclenche une certaine empathie. Plus que la première méthode.
Moi, je ne sais pas, j’ai oublié ma notice.
J’hésite entre marcher pendant des heures, jouer à saute-moutons,
mâcher le plus de chewing-gum possible pour faire un concours avec moi-même,
tourner les bobines de mes vieilles cassettes audio jusqu’à ce que les marques
des petites roulettes en plastique restent imprimées sur le bout de mes doigts,
et découper tous les tissus qui me passent sous la main pour en faire de faux
origamis. Ou faire tout ça en même temps.
Ou boire une petite coupe et souffler ma déception dans une bouteille
que je jetterai dans la Seine. Elle arrivera jusqu’à la mer. Je le sais. Le
vent la portera.
L'air du large sent bon la liberté
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