9h33 – Je me dis qu’il serait temps de me lever. J’allume la
radio.
9h35 – La météo. J’entends qu’il
fait -5°C à Paris. -5°C à Paris. Paris, c’est ici. Pas possible !!! Ça
veut dire que si jamais je sors de sous ma couette, il va faire un peu plus
frais. Que si je m’approche de ma fenêtre et ouvre les rideaux, il va faire
encore plus frais. Que si j’ouvre la fenêtre, ça va être horrible. Que si
j’ouvre les volets, ça va être plus qu’horrible. Ça va être la Sibérie
orientale transposée juste devant chez moi, et même partout autour… En résumé,
si je me lève et que j’ouvre tout, je vais – de mon plein gré – créer un
gouffre polaire. À réfléchir donc.
9h42 – Je réfléchis toujours.
9h44 – Je me dis que la météo
exagère souvent. Surtout que, lorsqu’ils ont dû prendre la température
extérieure, il devait être des millions d’heures plus tôt.
9h45 – Je prends conscience qu’il
est impératif de vérifier auprès des vrais gens. J’attrape mon téléphone,
pointe l’application Facebook, et appuie.
9h46 – Je parcours le fil
d’actualité. Une remarque me saisit d’effroi : « - 8°C. C’est très
froid. ». Tu m’étonnes. Je relis : « - 8°C. C’est très ... »…
Mais il habite à Paris, lui !!!
9h48 – Réunion de crise avec moi-même :
la vraie température est donc pire que celle annoncée par la météo. Désormais,
je le saurai.
9h50 – Mon moi premier est tombé
d’accord avec mon moi second pour arriver à la conclusion suivante: il est
urgent de trouver des contre-indices.
9h50 et quelques secondes :
prise de frénésie, je manque de faire bugger mon téléphone. Fragiles, ces
petites choses-là. Aucune autre remarque concernant le climat effroyable qui
règne sur la capitale. Les doigts des Parisiens auraient-ils congelé au point
de ne plus pouvoir taper sur les touches de leur ordinateur – i-phone – i-pad –
Blackberry et autres confrères ??? Je suis perplexe.
9h53 : J’envisage
sérieusement d’entrer en hibernation.
9h55 : Je trouve plein de
justifications plausibles face aux esprits un peu étriqués susceptibles de ne
pas comprendre mon changement d’attitude, pourtant si sensé. Première
explication, de saison : « Pour mieux comprendre les marmottes, j’ai
décidé d’adopter leurs cycles de vie. ». Deuxième explication, toujours de
saison, mais face à un esprit encore plus étriqué, explication qui permet donc
de se défiler, et pour laquelle il suffit d’imaginer que je suis enrhumée et
que j’ai déménagé à Nation : « Ben oui, je basse l’hiber à
Nation ». J’envisage également, après avoir frisé le ridicule en prononçant
cette phrase, me sauver en courant, prétextant l’heure de ma prochaine
inhalation.
10h15 : Je me tourne du côté
gauche pour continuer à rêver.
10h16 : Je me fige. Je me
rappelle avoir accepté de prendre un thé avec une amie en début d’après-midi.
Mon cerveau opère une traduction instantanée : aller dehors en bravant le
froid, comme tout le monde. Mon cerveau opère une deuxième traduction presque
aussi instantanée que la première : se jeter à corps perdu dans un
congélateur géant. Mon cerveau bugge.
10h30 : Une idée de génie me
vient. J’envoie un texto à l’amie en question pour faire remarquer la
température, mais sans insister, juste comme ça, en espérant qu’elle aura pitié
de moi et qu’elle me proposera de se voir dans quelques semaines, une fois la
température redevenue convenable.
10h32 : J’entends le bip de
réception des messages. J’attrape mon téléphone en moins d’une seconde et
demie, histoire de pouvoir aller petit-déjeuner en toute sérénité.
10h35 : Je relis le texto
pour la quinzième fois. Elle a confirmé le rendez-vous. En même temps, j’aurais
dû m’en douter en me remémorant la dernière fois qu'on avait rendez-vous pour
un thé. II y avait alors eu une sorte de mini tempête. J’avais essayé le même
coup, et ça n’avait pas marché. Ma deuxième conclusion du jour : il y a
des gens vraiment insensibles aux conditions climatiques.
10h36 : Je me prépare
psychologiquement à repousser mon hibernation d’un jour. Je passe en revue tous
mes habits qui pourraient avoir d’inscrit sur leur étiquette des mots tels que
« laine », « angora », « cachemire ». J’imagine
toutes les combinaisons qu’il est possible de faire avec ces vêtements. Dans
tous les cas, j’aurai l’air d’un bibendum. En même temps, quand il y a urgence,
il est permis de faire un petit tort aux exigences modeuses parisiennes et là,
je l’affirme haut et fort : il s’agit d’une urgence.
10h50 : Je mets le chauffage
à fond dans ma chambre appliquant la théorie suivante: si mon corps
emmagasine le plus de chaleur possible en un temps record, je survivrai
quelques heures de plus. Je ferme également très fort les yeux pour espérer me
trouver aux Bahamas une fois ceux-ci rouverts.
10h51 : J’ai rouvert les
yeux et n’ai pas bougé d’un pouce.
13h15 : Je me tiens debout
devant la porte d’entrée prête à partir. En même temps, heureusement que je
n’étais pas assise, je me serais posée des questions sinon. Je fais les
comptes. Quatre épaisseurs en haut dont un sous-pull conçu exprès pour skier,
deux à trois épaisseurs en bas selon les zones, bottines (je me réserve une
petite marge d’action avec les bottes fourrées), chapka, écharpe, gants
doublés. Je pense que j’ai fait le tour.
13h20 : Je sors. Dix minutes
pour atteindre le métro. Pour me donner du courage, je me répète en boucle que
je suis toujours vivante. J’ai juste l’impression qu’on vient de me transposer
au cœur du Mont Blanc en m’interdisant d’enfiler une combinaison de ski. Je
maudis toutes les fois où j’ai râlé à propos des combinaisons de ski.
17h30 : De retour chez moi,
je prépare la pâte à crêpes. Je me lèche les babines en pensant que c’est une
excellente manière de commencer une période d’hibernation. Ah, Hibernation…
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