Prenez par exemple cette fois où
je me suis retrouvée perdue au beau milieu de ce dédale capital qu’est le
Louvre. Îvre de lassitude, j’errais de salle en salle, tentant un sourire à des
momies en fines bandelettes, un clin d’œil à des Romains aux cuirasses
scintillantes. Je me rappelle avoir contemplé un certain temps le plan
d’Alexandrie. Mais à force de rester plantée 20 minutes devant chaque panneau
explicatif (le petit à côté de chaque œuvre, ce qui est plus inquiétant que les
grands à l’entrée de chaque salle devant lesquels je ne me permettais que de
loucher deux ou trois fois en faisant des mouvements d’avant en arrière,
mouvements qui ont effrayé certains touristes si je me souviens bien) sans en
comprendre le moindre sens m’était venue en tête une question qui m’apparut
comme cruciale : que faisais-je ici à 9h23 un dimanche matin, lendemain
d’un dîner auquel j’avais été invitée de manière un peu hasardeuse et au cours
duquel j’avais dû contrer mon ennui en me réfugiant… (les éléments refaisaient
peu à peu surface) près du bar? Me revinrent alors à l’esprit des bribes de
conversation et à la bouche les goûts de divers cocktails. Pourquoi ce con de
Machin-chose m’avait-il dit que rien ne valait une visite au Louvre un dimanche
matin car seuls quelques touristes égarés peuplaient le palais ??? C’est
drôle, je n’avais pas trop mal à la tête, même pas du tout. Par contre, il faut
avouer que j’avais plus l’air d’une girouette que d’une statue… Soudain, je fus
secouée par une prise de conscience atroce. Et si Machin-chose n’était pas
parti se coucher comme toute personne normale, qu’il était venu avec moi (je
n’exclus pas la possibilité de « black-out », on n’est jamais assez
prudent quand on essaye de reconstituer la réalité) et que je tombais sur lui
entre deux papyrus … ??! Après quelques œillades consciencieuses à
gauche puis à droite qui parvinrent à me rassurer, je m’aperçus qu’Hermès
enlevait sa sandale juste devant moi et me suis dit que s’il se mettait à
l’aise, j’avais bien droit moi aussi à une petite pause. Les grammes d’alcool
circulant en moi ont tellement agi sur la gravité que je me trouvais assise par
terre, la tête posée contre le mollet d’Hermès - qui n’avait pas trop l’air de
m’en vouloir cela dit en passant - , les paupières lourdes, quand un magistral coup
de sifflet me coupa le souffle et signa la fin de mon quart de seconde
hellénistique. Le gardien me mit à la porte de l’aile, me gratifiant d’ « un
touche à tout, va ».
Rentrée chez moi et après un
jour et demie de sommeil, j’étais toujours sous le choc culturel. C’est vrai,
la culture n’est pas qu’une randonnée éprouvante dans un musée. Alors je
décidai de m’y mettre moi aussi. Je remontai les pots de peinture qui nichaient
dans la cave et après une théière et la moitié d’une poule en chocolat, je
tenais mon concept artistique. J’allais élaborer quelque chose entre Verlaine
et Godard, entre Basquiat et Dubillard. Quelque chose de simple en définitif.
Si tous les murs intérieurs eurent l’honneur de mon inspiration, je décidai de
ne pas m’attaquer aux murs extérieurs, pensant qu’Haussmann m’en aurait
peut-être voulu. Et puis les pots se sont vidés, remettant en question mon idée
même d’art continu. Je me fis la réflexion que peindre sur les murs n’était pas
très pratique pour illustrer des chroniques. Il faut y penser à ça. Parce que
si je continuais sur cette voie, il allait falloir qu’à chaque nouvelle
chronique, je découpe un bout de mur pour le placer dans mon scanner afin de
l’envoyer dans mon ordinateur, sachant que le poids de la pierre risquait
d’écraser la vitre de mon scanner et il était donc à supposer que je doive
racheter un nouveau scanner à chaque nouvelle chronique. Une chronique par
semaine devenant synonyme d’un scanner par semaine, je tirai la conclusion que
le jeu n’en valait pas la chandelle. Ma décision prise, je me dirigeai vers une
boutique où je pouvais trouver tout un matériel de peinture convenable. Face à
la montagne de pinceaux, éponges, gommes arabiques bariolées, papiers de
diverses épaisseurs que je retenais dans mes mains, la vendeuse s’empressa de
me demander ce que je faisais dans la vie. Après m’être dérobée de manière
plutôt brumeuse de cette intrusion dans mon intimité, elle conclut notre fausse
conversation par un « Hum, touche à tout, quoi ».
Décidemment, on ne se refait pas.
D’ailleurs, pour contrer toute supposition de collaboration numérique avec
un illustrateur mystérieux, j’offre ici un plaidoyer grandiloquent pour la
reconnaissance de mes droits de crayon comme de mes droits de pinceaux.
Un véritable démenti ; j’en fais une histoire personnelle.
Il était temps de remettre les pendules à l’heure.
Ca se voit bien que ce n’est pas vous qui manquez d’avaler de l’eau pleine
de peinture à chaque fois que vous pensez avoir attrapé votre tasse de thé !
Mon atelier a l'allure modeste
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